vendredi 22 mai 2009

mercredi 13 mai 2009

Le Groom Vert-de-Gris

Ma première réaction en découvrant "le groom vert-de-gris" de Schwartz et Yann sur l'étal de mon libraire fut d'abord de l'ordre de l'agacement, s'ajouta ensuite la déception. Ainsi, le magnifique "Journal d'un Ingénu" ne serait plus cette parenthèse enchantée dans l'imposante collection de Spirou. Je m'apprêtais alors à voir déferler une pléthore de séquelles d'une boîte de Pandore innocemment ouverte par Émile Bravo. Le groom de Marcinelle, allait il s'engager dans les FFI, rejoindre De Gaulle à Londres, devenir pilote de la RAF, dérouiller du jap en Nouvelle-Guinée ? Tant de possibles pour tant de "one-shot" à venir !
Je me trompais.
Yann a pris soin de cloisonner son récit, évitant toutes futures tentatives pénibles, en situant celui-ci entre 1942 et la Libération. Il intègre le précédent opus dans une chronologie linéaire et livre le chaînon manquant entre le Journal d'un Ingénu et Radar le Robot.
Cet album, sympathique au demeurant, se double d'une lecture ludique, véritable jeu de piste pour exégète. Si l'on y retrouve des personnages secondaires disparus depuis longtemps (Poildur, par exemple), tous les individus qui de près ou de loin, au fil des années, ont animé ou collaboré à la série sont citées ici en référence. De Franquin, qui a droit à sa statue, au très dispensable Broca, en passant par une bien sarcastique impasse Munuera, le dernier dessinateur attitré. Mais les références ne s'arrêtent pas à la série et débordent sur toute la Franco-Belge classique, et pas que, d'ailleurs, comme en témoigne un discret clin d'oeil au Pipit Farlouze de Riad Sattouf dans un coin de case.
La scène du marché aux puces, déjà immortalisé par Hergé dans "le secret de la Licorne", (hé tiens, en parlant de la Licorne...) est un must du genre. On y croise pêle-mêle les personnages de Willy Vandersteen, Quick et Flupke, Bob Fish et le (très) jeune Albert, Hergé, Jacobs et Van Melkebeke devisant dans un coin, entre autre.
Plus loin, c'est un dénommé Müller en tortionnaire nazi qui rappelle étrangement le docteur homonyme de l'Ile Noire, puis un inventeur sourd comme un pot, et un petit fox terrier blanc. Comme pour mêler davantage fiction dans la fiction et réalité, le chef de l'Armée Secrète, la résistance Belge, s'appelle Jean Doisy (comme le futur rédac'chef de Spirou dans l'immédiat après-guerre) et devise avec son lieutenant, un certain Raymond Leblanc (fondateur quant à lui de l'hebdo Tintin) de la réhabilitation de Hergé en commentant une de ses planches parues dans le Soir volé. Fantasio, pour sa part, recueillera chez lui trois pilotes américains (comme par hasard un certain Buck Danny, mais aussi Bill Balentines, le célèbre acolyte de Bob Morane) et je ne parle même pas du raid aérien dirigé par le capitaine Blake. Tout cela sur une soixantaine de pages.
Toutes ces citations, et j'en oublie volontairement, se fondent malgré tout avec discrétion dans le récit et évitent le piège de venir parasiter la première lecture, exceptée celle du lecteur averti.

Le sexe n'est désormais plus tabou chez Spirou. Nous avons pu le constater au fil des précédents volumes de la série alternative. Déjà, dans "Luna Fatale", Tome et Janry avaient osé l'impensable : Un baiser sur la bouche ! Un peu chaste, certes, mais un baiser quand même. Leurs successeurs n'en sont pas restés là et Yann et Tarrin suggérèrent même une véritable scène d'amour (bien moins chaste) entre Spirou et Sécotine dans "le Tombeau des Champignac". On ne s'étonne plus dorénavant de voir notre groom multiplier les contacts avec la gente féminine. D'un tendre baiser échangé avec Audrey, la jeune juive réfugiée dans les combles d'un immeuble, à l'étreinte bien plus fougueuse (mais, la morale est sauve, motivée par un dessein bien particulier) avec Ursula, une fonctionnaire de la Wermacht, Spirou manie les paradoxes et s'empêche bien malgré lui d'envisager un quelconque avenir possible avec l'une ou l'autre de ses conquêtes, à l'instar de l'espionne soviétique de Emile Bravo, son premier amour perdu dans la tourmente de l'Histoire. On retrouvera néanmoins Ursula, la "souris grise" à la fin de l'aventure, mais dans le lit d'un Fantasio bien entreprenant.
La grande première, c'est l'apparition en filigrane de l'homosexualité par l'entremise du personnage de Violette et de son ami (amant ?) d'origine africaine. Hormis cette ambiguïté sexuelle, et pour en revenir à la théorie de références précédemment citées, ces deux personnages évoquent fortement , dans un autre registre, les gestapistes du film de Louis Malle, "Lacombe Lucien".